Se ressourcer tout en développant son esprit d’équipe, c’est la proposition de l’équicoaching, une activité en plein développement. Pas besoin de savoir monter à cheval, la formation est accessible à tous. Nous l’avons testée au haras de Jardy.
Ce matin ensoleillé d’octobre, ils sont une dizaine de salariés de Vivendi à se retrouver au célèbre haras de Jardy, à un dizaine de minutes de voiture du Parc de Princes, pour un stage un peu particulier. Cappuccino, Altissima, Astuvu et So Easy ne sont pas des formateurs comme les autres. Le hongre et les trois juments font partie de la quarantaine de chevaux de compétition élevés dans le Perche auxquels le communicant Arnaud Camus, la psychologue Laurence Flichy et l’entraîneur Jean-Luc Force font appel trois à quatre fois par mois pour des séances dites d’équicoaching. Objectif de L’Académie équicoaching fondée par ce sympathique trio d’amis liés par leur amour du cheval : améliorer la connaissance de soi et des autres grâce à la plus belle conquête de l’homme.
DES BIENFAITS THERAPEUTIQUES
S’il n’y a plus besoin aujourd’hui de fuir pour survivre, le cheval a conservé une ultra-sensibilité permanente à son environnement renforcée par une capacité de vision à 360° ou presque. ‘C’est une véritable éponge des émotions de l’homme, dont il perçoit même à 20 mètres les battements cardiaques’, explique Laurence Flichy en présentant les quatre montures dans la cour principale de ce centre équestre mythique, longtemps propriété de l’industriel du textile Marcel Boussac.
Hippocrate, Xénophon ou Diderot louaient déjà en leur temps le bienfaits du cheval pour la santé humaine. Utilisée activement depuis une cinquantaine d’années à des fins thérapeutiques – autisme, Alzeimer, etc. – en prison, pour les jeunes en difficultés, les anciens combattants… – cette formation sensorielle connaît à présent un succès grandissant auprès des entreprises à la recherche d’approches atypiques pour développer l’esprit d’équipe et l’agilité de leurs salariés. Impératif dans un monde en mutation accélérée.
NUL BESOIN D’ETRE UN CAVALIER CONFIRME
Arnaud Camus compte notamment parmi ses clients Total, Clarins ou encore ST Dupont (1). Plus que la maîtrise d’un savoir-faire technique, c’est le ‘savoir-être ensemble’ qui devient déterminant face à la concurrence. Nul besoin d’être un cavalier confirmé pour suivre ce type de stage. Les exercices individuels et collectifs proposés par L’Académie équicoaching se déroulent tous à pied, le plus souvent en intérieur pour éviter que les chevaux ne soient trop facilement distraits. Seule contre-indication, l’allergie au poils d’équidé.
ETAPE numéro 1 : sélectionner son cheval pour la première mise en situation de la journée. Comment ? Le regard, la couleur de la robe, la taille, la silhouette, autant de critères cités pour justifier un choix largement dicté par un ressenti émotionnel et souvent une expérience plus ou moins traumatisante avec l’animal. Parmi les personnes présentes, l’une a été mordue, une autre est tombée et n’est jamais remontée… Toutes, sauf une, font toutefois bonne figure et s’approchent des chevaux pour faire plus ample connaissance. Participants et montures se dirigent ensuite vers le manège, un bel espace couvert aussi grand qu’un terrain de basket pour le première exercice.
Qui commence ? Philippe se dévoue. Le Chrono est lancé. Ce châtain au sourire doux à trois minutes pour faire marcher, puis trotter Cappuccino. Avec pour toute aide : sa tête, sa voix, ses bras et ses jambes, mais aucun contact physique avec l’animal. Malgré son 1.80 m et se 75 kg, le cadre peine à convaincre le quadrupède. Pas plus au pas qu’au trot. Pire, Cappuccino s’immobilise et se roule dans la poussière. Vexé, Philippe tente de reprendre la main avec force gesticulation des bras. Peine perdue. Cappuccino n’en fait qu’à sa tête, un brin narquois, Philippe à ses trousses, s’efforçant vainement de capter son attention et de le ramener sur le droit chemin…
UN TEST DE PERSONNALITE DE L’HOMME
Quand vient le moment du debriefing, ce costaud fait bonne figure, mais il est manifestement déçu. Ô surprise, les commentaires ne sont pas négatifs. Au contraire. ‘Le cheval ne se roule par terre que lorsqu’il est en confiance‘, explique le psychologue. ‘Philippe, tu as une personnalité plutôt apaisante. En revanche, tu es quelqu’un d’assez rapide, tu vas vite à l’objectif et tu ne prends pas le temps d’attirer les autres.’ L’intéressé confirme : ‘Je préfère proposer qu’imposer.’
Au tour de Sophie, une grande femme aux yeux bleus. Impressionnée par Cappu, de son petit nom, 1.70m au garrot, celle qui a l’habitude de gérer des dirigeants ‘pas toujours très commodes’ s’entretient longuement à voix basse avec le cheval, tel Robert Redford dans ‘L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux‘, avant de le précéder d’un pas décidé sur le tracé prévu. Docile, l’animal avance, Sophie l’encourageant régulièrement. Le trot s’avère plus compliqué, mais cette quinquagénaire est déjà ravie de son demi-succès. Pour Laurence Flichy, qui la crédite d’une certaine autorité, elle ‘crée un environnement très confortable avec une bonne capacité à reconnaître les efforts de l’autre’. Et le manager de renchérir : ‘Tu te mets au rythme des autres et, tel un chien de berger, si quelqu’un est perdu tu vas le chercher.’ Sophie savoure.
GARDER LE CONTACT
A moi de me plier à l’exercice. Forte de l’enseignement de mes prédécesseurs, je fais connaissance avec Cappu en lui laissant flairer le dessus de ma main droite, ma carte d’identité à ses yeux. Je lui explique ce que j’attends de lui. Un oeil sur le tracé à suivre, je ne cesse de l’encourager de la voix et du regard, en restant à la hauteur de sa jambe antérieure, sans risquer de me faire marcher dessus. Hyperconcentrée, j’oublie l’assistance. Garder le contact avec l’animal comme si je le tenais au bout d’une longe invisible : la difficulté est réelle même pour la cavalière occasionnelle que je suis, plus habituée à guider ma monture les rênes en mains et confortablement assise sur la selle en donnant régulièrement des jambes et du bassin. Pour ma plus grande fierté, le cheval se montre sensible à mes encouragements et avance d’un bon pas.
UN SHOOT D’ADRENALINE
A la lumière des prestations de Philippe et de Sophie, je ne baisse pas la garde et le presse tant et plus. Manifestement trop à son goût, car soudain, il passe au trot et me distance rapidement. Piquée au vif, je fends la diagonale pour le récupérer en évitant ainsi tout risque de prendre un coup de sabot. Pas question de me laisser faire. Je le remets sur le droit chemin sur un ton encore plus ferme, mais sans crier, conformément aux consignes de sécurité à respecter. L’exercice prend fin. Je félicite l’animal. Les trois minutes sont passées comme un rêve. Mon coeur bat la chamade. Un vrai shoot d’adrénaline pas forcément facile à expliquer, si ce n’est par le caractère inédit de l’expérience et l’envie de bien faire. Et sans doute la joie d’avoir réussi l’exercice imposé avec un animal pour lequel j’ai toujours ressenti de l’attirance.
Les avis du psychologue et du manager convergent : ‘Tu communiques une énergie et un dynamisme. Tu sais ce que tu veux. Tu es aussi beaucoup dans l’échange et tu cherches à comprendre comment l’autre fonctionne.’ Mais alors pourquoi cet écart cheval ? Jean-Luc Force, le coach sportif qui a notamment entraîné Karim Laghouag, médaillé d’or en équipe aux Jeux olympiques de Rio en 2016, observe : ‘Il faut savoir prendre du recul par rapport à la tâche.‘ A méditer.
RIEN DE THEORIQUE, QUE DE LA PRATIQUE
Au fur et à mesure que la journée avance, les exercices se corsent. Après les individuels, les collectifs : l’occasion d’appliquer rapidement les leçons apprises le matin même au vu de la communication non verbale et posturale du cheval. Avec le soutien des commentaires avisés d’Arnaud, Laurence et Jean-Luc, le stagiaire corrige le tir et prend au fur et à mesure confiance en lui pour gagner celle du cheval et atteindre l’objectif fixé. Cette conviction doit persister à l’échelle du groupe pour mener à bien des tâches de plus en plus complexes.
‘Rien de théorique, que de la pratique en live, un avantage certain par rapport à des formations plus classiques‘, selon Christine Halliot, de Total.
Le manège se remplit de cerceaux, de cubes en plastique et d’autres jalons : simple le matin, la configuration du slalom s’allonge, se complique et se chronomètre. Puis vient l’épreuve des saut d’obstacles dont les barres sont remontées plusieurs fois.
UN IMPACT DURABLE ?
Regroupés en deux équipes, les participants cogitent rapidement entre eux sur la meilleure stratégie à déployer pour réussir, mais toujours sans contact physique avec le cheval. Pas facile d’oeuvrer avec la même empathie avec le cheval et se coparticipants. L’un tente de faire le job à lui seul, une autre reste en retrait, mais à l’épreuve du feu, aucune de ces attitudes ne débouche sur des résultats concluants. Et pour cause. Impossible de tricher avec un animal qui n’est que dans le ressenti de stimuli instinctifs. Impartial, le cheval n’a cure des grandes gueules ou de galonnés, logés à la même enseigne. Tout le monde est mis à nu de façon identique. La moindre incohérence entre la consigne et le ressenti intérieur du donneur d’ordres suscite l’incompréhension du quadrupède. Mais après deux ou trois répétitions, chacun finit pas trouver ses marques en mettant si besoin un mouchoir sur son ego. Ni calculateur, ni stratège comme les animaux prédateurs, mais pleinement dans l’instant présent, le cheval réagit à ces efforts.
En fin de journée, la satisfaction est unanime, y compris pour les destriers volontiers joueurs. Bilan : ‘Quand tout le monde prend son pied, la victoire est quand même plus jouissive.‘, résume Denise. Le groupe ne peut qu’approuver. Les plus anxieuses comme les plus timides ne sont pas peu fières d’avoir largement surmonté leurs réticences initiales. Ce sont même les dernières à quitter les chevaux, après une énième tape affectueuse sur l’encolure. Au-delà d’une journée d’émotions fortes, quelle sera la portée d’une telle expérience pour la dizaine de participants comme pour l’entreprise ? Un peu tôt pour en juger, mais à l’aune de témoignages d’anciens stagiaires, l’impact est réel et durable.
UNE EXPERIENCE INOUBLIABLE
‘L’expérience est tellement puissante qu’elle vous change‘, raconte Sandrine Groslier, la présidente de Clarins Fragrance et Fashion, qui a joué le jeu avec une dizaine de collaborateurs en 2017. C’est la première fois que la manageuse – pourtant habituée à des formations en tout genre – entendait ‘un debrief aussi précis qui lui permettait d’accepter l’analyse donnée’. Résultat : cela l’amène régulièrement à repenser aux attitudes qu’elle doit développer. Et son équipe réclame une nouvelle séance.
Six ans après son stage, Laure Helfgott, professeure affiliée à l’ESCP Europe et coachg de dirigeants, conserve un souvenir très net de son vécu. ‘Quand je suis stressée, je repense à l’image de la lampe-tempête employée par l’animateur. Et j’essaye de réduire la hauteur de la flamme virtuelle en travaillant sur la respiration.’ ‘A part lors du service militaire, c’est très rare de se retrouver dans cette relation brute dénouée de code’ confirme de son côté Joël Dupuch, ostréiculteur et occasionnellement acteur de cinéma (Les Petits Mouchoirs, Jappeloup, etc.).
‘Plus on est complice de son cheval, plus il va donner’, affirme ce cavalier à la forte stature. Un enseignement salutaire pour tout manager d’équipe. Pour Virginie Coupérie-Eiffel, qui a aidé la famille Botton à installer un programme de ce type en prison, ‘face à un cheval, tout le monde est égal, il rende les prétentieux humbles, il met en avant les timides et les introvertis.‘
UN REGARD CROISE
Le pouvoir de l’équicoaching est si révélateur qu’il n’est pas rare que sous l’effet du lâcher-prise certains fondent en larmes. Arnaud Camus cite même le cas du changement de carrière d’un participant dans la foulée du stage. L’expérience est sans conteste concluante, y compris pour le simple observateur. Gérard Mestrallet, l’ex-président du conseil de surveillance d’Engie, a ‘été blufflé’ par la pertinence de l’analyse du caractère de son collaborateur de longue date, lors d’une session organisée à l’Académie équestre de Versailles, le repaire de Bartabas. Aujoud’hui à la tête d’une petite structure créée pour développer un projet touristique autour de sites nabatéens dans le nord-ouest saoudien, ce cavalier chevronné songe à y inscrire ses recrues pour forger leur esprit d’équipe.
L’avantage de la proposition de L’Académie équicoaching : ‘La complémentarité des regards de la psychologue, du manager et du coach sportif’, estime Annabelle Aublin, venue en observatrice au haras de Jardy en quête de formations alternatives pour le programme entreprise d’HEC. Un regard croisé qui, d’expérience, n’est pas toujours pratiqué aussi bien. Et pour cause. Contrairement au Canada ou à la Belgique, la médiation par le cheval n’est pas réglementée en France’, déplore Carole Yvons-Galloux de la Fédération française du cheval.
DES SESSIONS COUTEUSES
Recrutée en 2017 à la tête du service cheval et diversité nouvellement créé, cette infirmière de formation, cavalière de surcroît, a pour mission de structurer l’équithérapie et de rapprocher les acteurs équestres et médicaux. ‘L’idée n’est pas de demander la double capacité à tous, mais la complémentarité et l’interaction.’ Manisfestement les bons ingrédients pour réussir ! ‘Des doubles formations commencent toutefois à voir le jour‘, poursuit la responsable.
Après la région Centre, le mouvement s’étend progressivement. L’idée est de développer une offre de proximité et d’informer le public. Une forme de démocratisation de l’univers équestre souvent perçu comme élitiste. Reste que ces sessions, accessibles dans le cadre de la formation continue, sont coûteuses. Une séance comme celle du haras de Jardy revient en moyenne à 1200 euros hors taxe par jour et par stagiaire. Voire jusqu’à 6000 euros pour le format solo proposé aux dirigeants par Arnaud Camus et son équipe. Pour un particulier, cela relève carrément du luxe.
(1) ‘Equicaoching, l’intelligence émotionnelle au coeur de l’entreprise’, Jean-Paul Bérard, Arnaud Camus, Laurence Flichy, Actes Sud, 2018/