Dans l’Orne, en Normandie, le haras du Pin, le plus ancien des haras nationaux, a survécu aux tumultes de l’Histoire. Depuis le désengagement de l’État en 2010, ce site, voulu par Louis XIV et Colbert, a entamé une nouvelle vie.
PAR RACHEL BINHAS
Nous sommes en 1665, à Versailles. Louis XIV souhaite des haras royaux. En effet, les petits haras du pays lui paraissent insuffisants : il lui faut disposer de chevaux sélectionnés selon leur race et dont le nombre soit suffisant pour faire face tout à la fois aux besoins de la guerre, de la cour, des transports et de l’agriculture. Car, au Grand Siècle, la France manque cruellement d’équidés. Elle est obligée d’importer des chevaux d’Allemagne, du Danemark ou encore d’Espagne. Au grand Colbert échoit la mission d’organiser l’élevage et la production d’étalons grâce à des haras nationaux spécialisés.
Le premier haras voit le jour à Saint-Léger-en-Yvelines. Mais les conditions sanitaires ne sont pas respectées. Il est donc déplacé en Normandie, au domaine du Buisson d’Exmes. Démarre alors la construction ex nihilo de ce qui sera appelé plus tard le « haras du Pin ». Un domaine qui s’étend sur plus de 1 100 ha et dont la symétrie du paysage est inspirée du château de Versailles. Les aménagements extérieurs sont donc réalisés par un élève de Le Nôtre, c’est la grande mode des jardins à la française. La construction des bâtiments n’est pas laissée au hasard. Le plan des écuries forme un fer à cheval, et, avec le château, un étrier se dessine. L’allée centrale est appelée « avenue Louis XIV ». Le tout valut au lieu d’être surnommé « le Versailles des chevaux » par l’écrivain Jean de La Varende. Si l’édification générale a pris fin en 1736 – sous le règne de Louis XV –, des bâtiments sont venus compléter l’ensemble jusqu’au début du XIXe siècle.
La vie de ce haras aurait pu être paisible. C’était compter sans les tumultes de l’Histoire : la Révolution française vient en bouleverser les règles. Le 20 janvier 1790, l’Assemblée constituante vote la disparition du « régime prohibitif des haras ». La fin de cette institution est adoptée au nom de la liberté individuelle. Les étalons nationaux doivent être vendus, la réglementation de l’élevage tombe… Mais Napoléon ne l’entend pas de cette oreille. Par un décret impérial du 4 juillet 1806, il rétablit l’administration des haras. En raison de la guerre, Le Pin retrouve ses fonctions. Et de nouveaux chevaux – normands, pur-sang anglais… – remplissent les box.
Alors que les chevaux sont encore bien présents pendant la Grande Guerre – 8 millions ont participé aux batailles et 1 million d’entre eux y ont été tués –, la Seconde Guerre mondiale signe la fin d’une époque pour la filière équine. Les chevaux ne peuvent supporter la comparaison avec les véhicules blindés. Et, en agriculture, la mécanisation des campagnes réduit au fil des ans l’utilisation des animaux, jusqu’à les faire quasi disparaître.
Ces transformations affectent le haras du Pin, réputé pour ses pur-sang anglais, trotteurs, percherons et autres normands. Au fil du temps, l’objectif de reproduction cède la place aux activités sportives et de loisir.
Redorer son blason
Propriétaire du haras de Montaigu (Orne), Aliette Forien est à la tête d’un élevage familial de pur-sang anglais. L’éleveuse est une habituée du Pin, dont elle a connu l’ère faste. « Dans les années 1980-1990, Le Pin était le cœur de la région. On pouvait amener les juments pour la reproduction, il y avait toutes les races », se souvient-elle avec un brin de nostalgie. Son maréchal-ferrant a été formé à l’ancienne, à l’école du Pin, où l’on s’initie encore aux métiers du cheval. « Pour l’Orne, ce haras est important. Sur le plan économique, il n’y a pas la mer, souligne Aliette Forien, tout le monde veut être autour de Deauville, or c’est ici que se trouve le meilleur herbage ! »
L’année 2010 marque un tournant : pour des raisons financières, l’État décide de se désengager progressivement. Les temps ont changé, comme la place des chevaux dans la société. Bon nombre de haras doivent être vendus, leur coût de fonctionnement étant difficilement supportable. La reproduction passe aux mains du privé. Certains haras ont été transformés en complexes immobiliers, en hôtels, restaurants ou en centres culturels. Mais le haras du Pin résiste et reste farouchement attaché à son caractère équin (lire l’encadré). Pas question donc d’abandonner ce qui fait l’âme du lieu, le cheval. « À partir du moment où le métier s’est éteint, où la fonction originelle des haras a disparu, il était difficile d’imaginer le maintien des sites en l’état », explique le directeur, Sébastien Leroux. Au Pin, l’histoire est presque aussi importante que la géographie. « La Normandie est la région du cheval, fil rouge du Pin », complète Sébastien Leroux. Les acteurs du monde équestre s’y donnent rendez-vous pour le Grand Concours complet, des concours d’attelage et des courses à l’hippodrome.
Dans le cadre des jeux Olympiques de 2024, le haras du Pin, centre de préparation, accueillera les cavaliers avant les compétitions. Dès à présent, le domaine propose des spectacles équestres, la découverte d’une collection de voitures hippomobiles classées monuments historiques, et même des formations d’« équicoaching ». Arnaud Camus est à la tête de cette école de management par le cheval. À l’écouter, celui qui est aussi éleveur n’aurait pu développer ses formations ailleurs qu’au Pin : « Cette cathédrale équestre nous porte, c’est une terre d’innovation. Nous avons remplacé l’insémination par la formation ! » Un enthousiasme partagé par Aliette Forien : « C’est avec plaisir que je vois la vie de ce site reprendre, ce qui va bénéficier à de nombreux professionnels. Les conditions de la réussite sont réunies. » Pour redonner son lustre d’antan au Pin. ■